Ce n’est pas que je me faisais des illusions…

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… Non, non, franchement, je suis plutôt réaliste, comme fille. Mais je me disais : « Bon, ce bébé est plutôt sage, placide ; il s’occupe tout seul… Je vais bien pouvoir me caser par-ci par-là quelques moments dévolus à l’écriture ; et puis il faut bien qu’il s’habitue à voir sa maman travailler, etc. » Sauf que… évidement, ça ne fonctionne pas comme ça. Pas vraiment. Enfin, un peu… Mais si peu…

Alors voilà : déjà, ce n’est pas si facile de se concentrer sur son texte quand Bébé, même allongé sagement dans son berceau à un mètre de votre bureau, babille pour attirer votre attention et vous dédie un énorme sourire dès que vous tournez la tête dans sa direction. Comment résister au feu de ces petits yeux noirs, ronds et brillants qui dardent un regard énamouré sur votre humble personne ? Moi je ne résiste pas, je le regarde, lui rends ses sourires, lui parle, éventuellement vais jouer avec lui, et quand je reviens sur mon texte, je ne sais même plus de quoi ça parle. Caramba. Par ailleurs, il faut savoir qu’un petit enfant en pleine forme, c’est un zoo à lui tout seul. « Babil » est un mot court et gentillet, mais la réalité contextuelle est un poil plus nuancée. Cris d’otarie, grognements de lionceau, barissements d’éléphanteau, couinements de petit singe, feulements de lynx… de temps en temps, on a même le vrombissement du moteur de la voiturette du gardien du zoo.

Ensuite, les journées passées à s’occuper d’un bébé sont à la fois courtes et longues. Longues par la série de corvées qui n’en finissent plus – préparer un bib, donner un bib, changer la couche, lancer une machine, prendre une douche (oui, il faut), faire la vaisselle, préparer le repas, donner à manger, changer la couche, le coucher, changer de pantalon (ou de pull… ou les deux…), sortir le linge, étendre le linge, etc. Si bien que lors des moments de pause (oui, il y en a quand même, on n’est pas maso), l’activité intellectuelle possible se résume souvent à feuilleter ELLE, à lire un article flagorneur sur Brigitte Macron – oh, Dieux, je devrais me liquéfier de honte. Je me suis demandé comment procéd(ai)ent les femmes-écrivains connues, parmi celles qui avaient(ont) des enfants (en fait, on dirait que la maternité et la littérature sont difficilement compatibles : Jane Austen, Germaine Beaumont, Nancy Mitford, Amélie Nothomb, Charlotte Brontë, etc…. n’ont/’avaient pas d’enfants). Colette, par exemple, avait relégué sa fille loin de Paris, en Corrèze – me séparer de mon bébé, option inenvisageable. La Comtesse de Ségur se reposait sur les bonnes d’enfants – je n’en ai pas. George Sand s’occupait de ses enfants (puis de ses petits-enfants) le jour, et écrivait la nuit – moi je surnage péniblement jusqu’à 22h30, après quoi je m’écroule comme une masse jusqu’à ce que bébé sonne, vers 8h30 (oui, j’ai pris le modèle de luxe, qui dort bien, qui mange bien). Françoise Sagan avait confié son fils à une amie pour mener librement sa folle vie – la mienne, de vie, est bien plus lisse. Bref, je ne suis pas sûre que l’exemple idéal, en ce domaine, existe vraiment.

Enfin, il y a de ces journées, un peu compliquées, où il est absolument impossible de se concentrer sur des sottises comme le choix du mot juste, la concordance des temps ou la musicalité d’une phrase, car tout votre esprit est accaparé par diverses délibérations portant sur des sujets importants, capitaux, cruciaux, vitaux, même : « ce bébé pleure ; il doit avoir mal au ventre, c’est quasi sûr car il n’est pas allé à la selle depuis 2 jours. Alors à midi, je lui donne juste des haricots verts, un petit bib de lait, et de l’eau, mais pas de l’Hépar, faudrait que ça sorte naturellement. Mais peut-être devrais-je quand même lui donner un suppo à la glycérine ? ». Ces jours-là, si d’aventure je me retrouve face à mon écran 5 mn, je le regarde d’un air vitreux, la cervelle remplie d’une sorte de brouillard d’où n’émergent que des questions du genre : « Qu’est-ce qui constipe, les oeufs durs ou les poireaux ?, « Pourquoi les couches ne sont-elles pas plus étanches ? », « Pourquoi ses dents ne sortent toujours pas, ça fait deux mois qu’il double ses gencives ? »… »Que dit Laurence Pernoud ? »… Sic transit gloria mundi.

Alors bon… J’écris peu… Pour le moment… Parce que je préfère tenir mon bébé lontemps dans mes bras pour le consoler, parce que je préfère lui monter un livre ou un jouet, parce que je dois lui apporter des soins… Parce que j’ai choisi qu’il soit ma priorité… Parce qu’un jour il sera grand et sera occupé ailleurs, et j’aurai tout le temps d’écrire…

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