Mois: février 2019

Enseigner l’Histoire de France à l’école

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Depuis quelques temps, je fais ce qu’on appelle de la « remediation scolaire » (sans accent), c’est-à-dire, plus simplement, du soutien scolaire ou de l’aide aux devoirs. Avec mon Bac+6, je peux y prétendre sans crainte d’escroquer les parents d’élèves. Je reçois donc chez moi des enfants de tout niveau, qui ont des attentes différentes. C’est un travail très gratifiant, que j’aime beaucoup ; les résultats sont tangibles ; bref, tout va pour le mieux, dans le meilleur des mondes.

Enfin, pas tout à fait… En réalité, je suis proprement navrée par la teneur des programmes scolaires, en particulier au niveau primaire. Et par les conséquences que cela engendre, et que cela va générer dans un proche avenir. Je passe sur les mathématiques : n’étant pas une « matheuse », je ne peux pas vraiment porter un jugement sur ce qui est enseigné. Je ne peux tout de même laisser de m’étonner que la division ne soit abordée qu’en CM1, par exemple, et qu’on n’ait jamais demandé aux élèves de « faire une preuve » ou qu’ils ne sachent pas ce qu’est une règle de 3. Ma grand-mère, ancienne institutrice, en serait consternée… Passons également sur le français, parce que j’en aurais tellement à dire qu’il me faudrait rédiger un autre article d’au moins cinq pages !

C’est de l’enseignement de l’Histoire que j’aimerais parler aujourd’hui. Avez-vous déjà parcouru les grandes lignes des orientations pédagogiques imposées aux instituteurs ? (Sur Internet, on a accès au Bulletin Officiel : tout y est) Avez-vous déjà comparé des manuels d’histoire un peu anciens (désuets, vraiment ?) à des livres scolaires actuels ? La différence est tangible et le problème de fond saute aux yeux ; cependant je vais illustrer cela de manière concrète.

L’un de mes élèves est en CM2, mais je le suis depuis le CM1. Dans sa petite école de village, les instituteurs s’arrangent entre eux, et c’est l’une des maîtresses qui assure l’enseignement de l’Histoire pour les élèves du CE2 au CM2. Voici ce que cela donne :

CE2 : le Moyen-Age – les Romains – et un peu l’Egypte aussi

CM1 : une mini-leçon sur la première guerre mondiale – la Préhistoire – euh, et c’est tout parce qu’on n’a pas le temps

CM2 : Louis XIV et Versailles et le pouvoir absolu (c’était mal, abusif, et tout et tout) – la Révolution française (les pauvres paysans ont coupé la tête du roi et de plein de vilains aristocrates qui étaient trop méchants) – et un peu de Napoléon, si l’on a de la chance.

Le contenu du paragraphe sur la Première guerre mondiale (il fallait bien l’évoquer, à cause du centenaire), c’était en gros : « il y a eu l’attentat de Sarajevo, qui a déclenché la guerre ; sur le front, les poilus vivaient dans des conditions effroyables ; à l’arrière, beaucoup de femmes ont remplacé les hommes dans les usines ; on a signé l’armistice le 11 novembre 1918, puis on a construit partout des monuments aux morts ». Lorsqu’un enfant de 10 ans me confie : « Tu sais, j’aime pas trop l’Histoire parce que je n’y comprends rien », je ne peux pas le blâmer !

Les conséquences d’un enseignement déstructuré, incohérent, sans aucune logique chronologique, bourré de raccourcis si simplistes que le fait historique en est faussé, les conséquences, disais-je, pourraient se résumer en trois points.

  • Disparition de la notion de l’Etat, de peuple, de destin commun, donc du sens civique, de sens de la collectivité. La France, le peuple français ? Oui, bof, connais pas… Se battre pour défendre son pays ? Pourquoi faire… Les cultures traditionnelles et folkloriques développées dans chaque coin du pays ? C’est nul ; ouvrons-nous plutôt aux autres cultures et allons à notre cour de zumba. L’unité nationale ? Pouah, quelle horreur, faut pas parler de ça, c’est pour les « fachos »…
  • Désintérêt pour le patrimoine architectural ; à moins qu’on puisse s’y amuser, que ce soit ludique ! Versailles-Disneyland, ça passe, mais la splendide église romane du village voisin peut être rasée, quelle importance, c’était vieux, inutile et ça tombait en ruines. Une visite des châteaux de la Loire ? Oui s’il y a des ANIMATIONS ; oui si les enfants sont occupés et s’il y a une boutique à la fin du parcours pour ACHETER des choses. Par contre, rattacher ce splendide patrimoine à l’Histoire de France, aux Valois, aux rois… c’est autre chose.
  • Impossibilité de s’intéresser à d’autres formes culturelles ; par exemple la littérature. Comment lire Zola si on n’a pas un minimum de connaissances sur le Second Empire ? Et si la Restauration ne nous évoque rien non plus, alors, Balzac… Comment vraiment apprécier Molière ou Scarron si l’on ne connaît rien du XVII° siècle (ou juste quelques poncifs) ? Voltaire et Diderot, on voit à peu près qui c’est, et quelles étaient leurs grandes idées ; mais Olympe de Gouge ? Que défendait cette femme ? Quant à Marie-Antoinette, au pire on regarde le film de Mme Coppola, au mieux on lit une biographie écrite par une Américaine. Mais qui lira les Mémoire de Madame Campan, pas toujours objectives, mais si vivantes, et écrites dans un si beau français ?

La mort programmée de la conscience nationale, de la culture française, c’est, entre autres, dans les écoles primaires que cela se passe ! Si vous êtes parents, achetez des manuels scolaires à vos enfants, révisez avec eux votre Histoire de France, emmenez-les visiter des châteaux et des églises et des cathédrales, donnez-leur à lire des « Classiques »… Si vous ne le faites pas, soyez assuré que l’école ne le fera pas à votre place ! Et si vous-même n’êtes pas particulièrement intéressés par la littérature, l’Histoire ou le patrimoine (et l’on ne saurait vous en blâmer ; chacun a ses propres centres d’intérêt), il n’y aura aucun moyen pour votre enfant d’être éveillé à ces sujets, et d’avoir la possibilité de devenir historien, professeur de lettres classiques, ou bien tout simplement « honnête homme », comme on disait du temps de Molière ! On peut parler « d’inégalités sociales qui se creusent », mais cela va bien au-delà, en réalité.

 

 

Ce n’est pas que je me faisais des illusions…

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… Non, non, franchement, je suis plutôt réaliste, comme fille. Mais je me disais : « Bon, ce bébé est plutôt sage, placide ; il s’occupe tout seul… Je vais bien pouvoir me caser par-ci par-là quelques moments dévolus à l’écriture ; et puis il faut bien qu’il s’habitue à voir sa maman travailler, etc. » Sauf que… évidement, ça ne fonctionne pas comme ça. Pas vraiment. Enfin, un peu… Mais si peu…

Alors voilà : déjà, ce n’est pas si facile de se concentrer sur son texte quand Bébé, même allongé sagement dans son berceau à un mètre de votre bureau, babille pour attirer votre attention et vous dédie un énorme sourire dès que vous tournez la tête dans sa direction. Comment résister au feu de ces petits yeux noirs, ronds et brillants qui dardent un regard énamouré sur votre humble personne ? Moi je ne résiste pas, je le regarde, lui rends ses sourires, lui parle, éventuellement vais jouer avec lui, et quand je reviens sur mon texte, je ne sais même plus de quoi ça parle. Caramba. Par ailleurs, il faut savoir qu’un petit enfant en pleine forme, c’est un zoo à lui tout seul. « Babil » est un mot court et gentillet, mais la réalité contextuelle est un poil plus nuancée. Cris d’otarie, grognements de lionceau, barissements d’éléphanteau, couinements de petit singe, feulements de lynx… de temps en temps, on a même le vrombissement du moteur de la voiturette du gardien du zoo.

Ensuite, les journées passées à s’occuper d’un bébé sont à la fois courtes et longues. Longues par la série de corvées qui n’en finissent plus – préparer un bib, donner un bib, changer la couche, lancer une machine, prendre une douche (oui, il faut), faire la vaisselle, préparer le repas, donner à manger, changer la couche, le coucher, changer de pantalon (ou de pull… ou les deux…), sortir le linge, étendre le linge, etc. Si bien que lors des moments de pause (oui, il y en a quand même, on n’est pas maso), l’activité intellectuelle possible se résume souvent à feuilleter ELLE, à lire un article flagorneur sur Brigitte Macron – oh, Dieux, je devrais me liquéfier de honte. Je me suis demandé comment procéd(ai)ent les femmes-écrivains connues, parmi celles qui avaient(ont) des enfants (en fait, on dirait que la maternité et la littérature sont difficilement compatibles : Jane Austen, Germaine Beaumont, Nancy Mitford, Amélie Nothomb, Charlotte Brontë, etc…. n’ont/’avaient pas d’enfants). Colette, par exemple, avait relégué sa fille loin de Paris, en Corrèze – me séparer de mon bébé, option inenvisageable. La Comtesse de Ségur se reposait sur les bonnes d’enfants – je n’en ai pas. George Sand s’occupait de ses enfants (puis de ses petits-enfants) le jour, et écrivait la nuit – moi je surnage péniblement jusqu’à 22h30, après quoi je m’écroule comme une masse jusqu’à ce que bébé sonne, vers 8h30 (oui, j’ai pris le modèle de luxe, qui dort bien, qui mange bien). Françoise Sagan avait confié son fils à une amie pour mener librement sa folle vie – la mienne, de vie, est bien plus lisse. Bref, je ne suis pas sûre que l’exemple idéal, en ce domaine, existe vraiment.

Enfin, il y a de ces journées, un peu compliquées, où il est absolument impossible de se concentrer sur des sottises comme le choix du mot juste, la concordance des temps ou la musicalité d’une phrase, car tout votre esprit est accaparé par diverses délibérations portant sur des sujets importants, capitaux, cruciaux, vitaux, même : « ce bébé pleure ; il doit avoir mal au ventre, c’est quasi sûr car il n’est pas allé à la selle depuis 2 jours. Alors à midi, je lui donne juste des haricots verts, un petit bib de lait, et de l’eau, mais pas de l’Hépar, faudrait que ça sorte naturellement. Mais peut-être devrais-je quand même lui donner un suppo à la glycérine ? ». Ces jours-là, si d’aventure je me retrouve face à mon écran 5 mn, je le regarde d’un air vitreux, la cervelle remplie d’une sorte de brouillard d’où n’émergent que des questions du genre : « Qu’est-ce qui constipe, les oeufs durs ou les poireaux ?, « Pourquoi les couches ne sont-elles pas plus étanches ? », « Pourquoi ses dents ne sortent toujours pas, ça fait deux mois qu’il double ses gencives ? »… »Que dit Laurence Pernoud ? »… Sic transit gloria mundi.

Alors bon… J’écris peu… Pour le moment… Parce que je préfère tenir mon bébé lontemps dans mes bras pour le consoler, parce que je préfère lui monter un livre ou un jouet, parce que je dois lui apporter des soins… Parce que j’ai choisi qu’il soit ma priorité… Parce qu’un jour il sera grand et sera occupé ailleurs, et j’aurai tout le temps d’écrire…